Au Shakhtar Donetsk, jouer malgré l’horreur de la guerre

Le Shakhtar Donetsk, actuel quatrième du championnat ukrainien, « recevra » ce jeudi l’Olympique de Marseille pour le match aller des barrages de l’Europa League. Une rencontre à domicile pourtant si loin des bases du club ukrainien à cause du conflit armé qui dure depuis deux ans maintenant, symbole d’un contexte politique tendu qui n’a jamais quitté le Shakhtar.

Les joueurs du Shakhtar Donetsk poursuivent leur épopée européenne, avec les barrages d’Europe League. Photo : Shakhtar Donetsk

Le 24 février 2022, la vie de 43 millions d’Ukrainiens a basculé. Après l’offensive russe, l’Ukraine toute entière a été chamboulée. Et bien sûr, le football n’y fait pas exception. Et comme toute la société ukrainienne, le football a lui aussi dû reprendre petit à petit, pour continuer à vivre. Après quasiment sept mois d’arrêt, la « Premier-Liha » a tant bien que mal repris ses droits, même si les esprits n’étaient pas totalement tournés vers le sport.

« Personne ne pensait à jouer au football, la plus grande préoccupation était de survivre », Serhiy Palkin, directeur général du Shakhtar Donetsk.

Fer de lance du football ukrainien depuis plusieurs décennies, le Shakhtar est aujourd’hui en exil. Étant situé dans le Donbass, point névralgique du conflit à l’est de l’Ukraine, les joueurs de Donetsk sont rapidement contraints de quitter la région. Et donc, d’installer leur camp de base dans un hôtel luxueux du centre de Kiev. Mais malgré la reprise du championnat, le contexte militaire reste omniprésent pour les « Mineurs ». Les matchs de championnat se jouent d’abord à Kharkiv, puis à Lviv (à 500 km du camp de base de Kiev). Aussi, l’interdiction de survoler le territoire ukrainien oblige les joueurs à voyager en bus, les contraignant parfois à faire plus de dix heures de trajet pour un simple match de championnat… 

Malgré l’envie de rejouer au football, les joueurs ne peuvent faire abstraction de la violence qui sévit autour d’eux. Cette violence s’installe malheureusement très tôt dans le quotidien du club ukrainien, qui ouvre rapidement ses installations pour protéger les habitants des bombardements incessants. L’horreur de la guerre et la peur s’invitent dans le quotidien du club : la plupart connaissent des soldats partis au front, et en septembre, le gardien Dmytro Riznyk apprend le décès de son frère. 

Emmené par l’entraîneur croate Marino Pusic, le Shakhtar reste uni malgré le contexte. Photo : Shakhtar Donetsk

Cette situation, très dure à vivre pour les joueurs ukrainiens, l’est tout autant pour les étrangers du Shakhtar. À la différence des joueurs de nationalité ukrainienne, les joueurs étrangers ne sont pas légalement tenus de rester sur le territoire ukrainien. Très vite, les non-ukrainiens du Shakhtar souhaitent pour la plupart quitter le pays, tout comme Roberto De Zerbi, entraîneur de Donetsk à l’époque. Exceptionnellement, la FIFA autorise les joueurs du championnat ukrainien à rejoindre le club de leur choix, même en dehors de la période de mercato. Dès lors, la traditionnelle colonie brésilienne du Shakhtar explose : Júnior Moraes, Maycon, Vitão, Alan Patrick… tous retournent au pays entre mars et avril. Tetê et Vinicius Tobias, eux, choisissent de rester en Europe, en signant respectivement à l’Olympique Lyonnais et au Real Madrid.

Le désir de jouer malgré tout

Fort logiquement, l’attractivité du club ukrainien n’est plus la même aujourd’hui. Le contexte politico-militaire a fortement limité le recrutement de jeunes talents venus du Brésil, qui ont souvent fait le bonheur du club (Fernandinho, Bernard, Luiz Adriano). Plus largement, la valeur intrinsèque de l’effectif a chuté, passant de 208 millions d’euros en 2021 à 121 millions d’euros cette saison (estimations Transfermarkt).
De plus, le Shakhtar Donetsk est devenu au fil du temps un club « nomade ». Les Mineurs n’ont plus foulé la pelouse de leur Donbass Arena depuis 2014, soit depuis les événements liés à la guerre du Donbass. La saison dernière, le Shakhtar jouait ses matchs européens en Pologne, à Varsovie. Cette saison, c’est en Allemagne, à Hambourg, que les Ukrainiens traînent leur traditionnelle tunique orange. Des matchs « à domicile » donc, impliquant une dizaine d’heures de voyage pour parcourir les quelque 2 400 km qui les séparent de Hambourg. 

La « réception » du FC Barcelone a permis aux supporters de déployer ce tifo, en soutien à l’Ukraine. Photo : Shakhtar Donetsk

Même si la distance n’est pas idéale, le public est lui bien acquis à la cause du Shakhtar. Hambourg abrite aujourd’hui la plus forte colonie de réfugiés ukrainiens en Allemagne, avec plus de 80 000 personnes. Pour les Ukrainiens exilés, qui se déplacent en nombre pour soutenir ceux qui représentent leur pays, ces matchs européens sont aussi une bouffée d’oxygène.

Malgré tout, le désir de retrouver la Donbass Arena est toujours bien présent dans les têtes, à commencer par celle du capitaine Taras Stepanenko, désormais seul joueur à avoir connu l’antre du Shakhtar : « Donetsk, c’est notre ville, c’est notre maison et nous y retournerons ». Le milieu de terrain ukrainien de 34 ans est sans doute celui qui symbolise le mieux cet état d’esprit : jouer au football, pour représenter les siens, pour représenter sa ville, pour soutenir sa patrie.  

L’entraîneur bosniaque Marino Pusic est arrivé en octobre 2023 après plusieurs expériences d’assistant en Eredivisie. Photo : Shakhtar Donetsk

« Aujourd’hui, je ne suis pas coach de football : je suis psychologue, assistant social et médiateur »

Marino Pusic, entraîneur du Shakhtar Donetsk arrivé en octobre 2023

Une exigence européenne toujours présente

Tout ce contexte défavorable rend les performances récentes du Shakhtar plus qu’admirables. En effet, même si la dynamique actuelle en championnat n’est pas idéale (Donetsk est aujourd’hui quatrième, à trois points du leader), le Shakhtar demeure une place forte du football européen. La saison dernière, les Ukrainiens s’étaient hissés jusqu’aux huitièmes de finale d’Europa League en éliminant notamment le Stade Rennais au tour précédent.
Cette saison, le club a également fait bonne impression en Ligue des Champions en terminant troisième de sa poule devant Antwerp, mais derrière le FC Barcelone et Porto. Les Mineurs avaient même leur destin en main lors de la dernière journée, mais une défaite à L’Estádio do Dragão de Porto a eu raison des hommes de Marino Pusic. Cette phase de poule restera tout de même un moment important pour le football ukrainien, avec en point d’orgue la victoire face au Barça de Xavi (1-0).

L’exploit face au Barça de Xavi est encore plus remarquable, au vu de la situation. Photo : Shakhtar Donetsk

« Il faut montrer au monde que l’Ukraine est encore en vie et que personne n’est parvenu à nous détruire »

Serhiy Palkin, la veille du match contre le Barça en Ligue des Champions

Ce supplément d’âme, c’est l’entraîneur Marino Pusic qui a réussi à l’insuffler à sa jeune équipe (25,2 ans de moyenne d’âge contre le FC Barcelone). Magnifiquement incarné par un Georgiy Sudakov qui se révèle au plus haut niveau à seulement 21 ans, ce renouveau ukrainien n’a pas fini de surprendre l’Europe. Au point de faire douter les Olympiens jeudi soir ? Une chose est sûre, il faudra compter sur les Mineurs de Donetsk pour jouer les trouble-fêtes.

Louka Dziurla

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