Jack Reynolds, le Britannique qui bâtit l’Ajax

L’Ajax est aujourd’hui un club légendaire et indissociable de la culture footballistique de chacun. Rinus Michels, Johan Cruyff ou encore Louis van Gaal, trois coachs qui ont marqué ce dernier demi-siècle, n’en sont pourtant pas les seuls pionniers. Le mythique précurseur n’est autre que Jack Reynolds, un Britannique qui façonne l’Ajax au début du XXe siècle. Portrait d’un homme méconnu mais néanmoins fondamental dans l’histoire du football. 

Jack Reynolds, décédé en 1962, reste aujourd’hui encore une icône du football mondial. Photo : Wikipédia

Avant d’écrire sa légende aux Pays-Bas, “le Hollandais à l’accent de Manchester” a logiquement fait ses premiers pas sur sa terre natale : l’Angleterre. Jack Reynolds naît en 1881. À l’heure où le football n’en est alors qu’à ses prémices et adopte seulement l’idée d’un jeu fait de passes, un génie du ballon rond à la philosophie révolutionnaire voit le jour.

Un Britannique au parcours peu commun

JACK REYNOLDS, LE JOUEUR BANAL ET INSIPIDE 

Pour Jack Reynolds, l’amour du football débute à Pilkington en compagnie de son frère Bill, de deux ans son aîné. Dans la banlieue de Manchester, les deux frangins se lient de passion pour le ballon rond avant que Jack ne rejoigne Bill du côté de Manchester City, alors en deuxième division. À dix-neuf ans, Jack Reynolds paraphe un contrat « d’apprenti pro » (sic). Néanmoins, aucun des deux frères ne parviendra à atteindre le niveau requis pour évoluer en équipe première.

Débute alors une courte carrière vagabonde pour Jack Reynolds. En l’espace de neuf saisons, cet inter – poste semblable à un ailier de nos jours – connaît pas moins de sept clubs. Un chiffre marquant à une époque où les allées et venues de joueurs sont rarissimes. 
Jack Reynolds est au zénith de sa carrière à l’aube de l’année 1905, évoluant alors en deuxième division avec Grimsby Town. Alors qu’il approche de la trentaine, l’inter britannique met un terme à une carrière sur les pelouses anglaises sans coup d’éclat. Les années 1910 marquent un véritable tournant dans la vie de Jack Reynolds : le passage d’un statut de joueur indifférent à celui d’entraîneur inspirant. 

Jack Reynolds joueur
Avant la trentaine, Jack Reynolds quitte le short et le polo de footeux. Photo : BEELD

JACK REYNOLDS, L’ENTRAÎNEUR AUX IDÉES NOUVELLES 

Désormais retraité des terrains, Jack Reynolds se voit confier le poste d’entraîneur du côté de Saint-Gall, en Suisse. L’Anglais souhaite mettre en place un football différent de celui pratiqué outre-Manche. Symptomatique du manque d’ouverture d’esprit de l’époque en Angleterre, l’avant-gardiste Jack Reynolds est contraint de s’exiler pour faire vivre une philosophie de jeu jugée trop idéaliste par ses contemporains britanniques. 
Ce pragmatisme anglais permet à d’autres pays du football de profiter des idées non conventionnelles de tacticiens anglo-saxons rejetés de leur terre natale. Une vision tactique qui se ressentira des décennies durant pour le football anglais. Les Three Lions n’ont d’ailleurs remporté qu’un seul titre majeur : c’était en 1966, en glanant la Coupe du monde devant leur peuple. Un palmarès bien terne pour la terre originelle du ballon rond. 

Exclu de l’échiquier tactique britannique, Reynolds s’envole donc vers d’autres cieux où l’herbe semble plus verte pour y semer ses idées. En Suisse, le contexte est idéal pour le natif de Manchester ; le football est en pleine construction et peine alors à trouver une véritable identité. Jack Reynolds y met en place ses préceptes et, fort d’une expérience réussie sur le banc saint-gallois, finit par être repéré par la Fédération allemande en 1914. 
En vue des Jeux Olympiques de 1916 qui se dérouleront à Berlin, cette dernière lui propose le poste de sélectionneur national. Une fonction qu’il accepte volontiers. Ces JO sont censés enfin propulser Jack Reynolds sur le devant de la scène. Il n’en sera rien. Entre temps, la Première Guerre mondiale éclate. Les JO de Berlin sont logiquement annulés et le tacticien britannique déménage aux Pays-Bas en 1915. Un choix aux allures anecdotiques pourtant prépondérant pour la suite… 

Pionnier et révolutionnaire du plus grand club batave 

DE PROFONDS CHANGEMENTS STRUCTURO-CULTURELS ENCORE EFFECTIFS AUJOURD’HUI 

Dès son arrivée au pays des polders, Jack Reynolds prend en main un modeste club de la capitale amstellodamoise tout juste relégué en seconde division : l’Ajax. D’ores et déjà doté d’une excellente réputation pour ses faits d’armes en Suisse, le coach britannique est chargé d’une lourde et épineuse mission : déterminer le visage du club pour les décennies à venir. Une tâche dantesque à réaliser pour un seul homme. Jack Reynolds, lui, parviendra à façonner le caractère du football batave pour le siècle à venir. 
S’il embarque dans sa valise ses différents couvre-chefs si caractéristiques venus tout droit du Royaume-Uni, il n’en oublie pas moins d’apporter avec lui ses idées de restructuration du club et les premiers principes d’un style de jeu inédit qui ne porte alors aucun sobriquet : le football total, ou totaalvoetbal. 

Jack Reynolds entraîneur
Jack Reynolds enfilait-il les crampons pour diriger les entraînements ? Il y a de grandes chances. Photo : These Football Times

Lorsqu’il débarque à l’Ajax, Jack Reynolds fonde l’Ajaxschool, un tout nouveau système de formation et de structuration révolutionnaire. En avance sur son temps, Reynolds exige de toutes les équipes ajacides – des plus jeunes jusqu’aux professionnels – qu’elles adoptent le même dispositif, les mêmes principes de jeu et la même approche philosophique que l’équipe première. Une évolution qui n’avait pas même traversé l’esprit de ses compères tacticiens. Avant-gardiste pur, Jack Reynolds instaure ce dogmatisme novateur et jusque-là inédit au sein du football mondial. Il va encore plus loin en formant lui-même les formateurs. D’ailleurs, ce système ne sera que – trop – peu reproduit par la suite. En témoigne les rares brillants exemples que sont le CF Atlas de Marcelo Bielsa ou le Barça de Pep Guardiola. 

Durant ses vingt-cinq années passées à la tête de l’Ajax – espacées en trois passages s’étalant sur trente-deux ans -, Jack Reynolds perpétue cette tradition formatrice pour en faire l’identité du club. Par la suite, l’Ajaxschool a conduit le club à ses plus belles heures de gloire pendant les années 30, 70 et 90, et est encore aujourd’hui reconnue comme l’une des meilleures écoles de football au monde. 

UNE PHILOSOPHIE DE JEU INNOVATRICE ET INÉDITE 

En 1915, lorsque Jack Reynolds arrive dans la capitale amstellodamoise, l’Ajax vient de subir une relégation en deuxième division. Deux ans plus tard, la deuxième saison de Reynolds à la tête de l’équipe est ponctuée par une promotion en première division. Amsterdam est en fête avant que la saison suivante ne débute, durant laquelle les Watergraafsmeer réaliseront un exploit monumental.
Au terme de son premier exercice dans l’élite avec l’Ajax, Jack Reynolds remporte le championnat. Mais la véritable prouesse du génie britannique est d’avoir fait d’un club promu une forteresse invincible. En effet, l’Ajax remporte le premier titre de son histoire en restant invaincu durant toute la saison. Un record qui fera foi durant huit décennies, reproduit par l’équipe d’un certain Louis van Gaal en 1996. 

Louis van Gaal Ajax
Quand Louis van Gaal dépassait, ou presque, le maître du jeu Jack Reynolds.

Ce succès remarquable et instantané, Amsterdam le doit à Jack Reynolds. Le tacticien britannique procède à de grands bouleversements à son arrivée à l’Ajax. Avant d’esquisser sa vision dogmatique du football à ses joueurs, il prend soin de replacer certains d’entre eux à des postes plus adaptés. Le plus notable est sans doute le cas Jan de Boer. D’abord joueur de champ banal et insignifiant – un peu à la manière de Reynolds d’ailleurs -, son entraîneur en fait un gardien de but efficace et performant.

Après ce rapport d’effectif nécessaire au bon développement du club, Jack Reynolds débute alors un long processus d’implémentation de ses idées à ses hommes. Véritable ingénieur du ballon rond, Jack Reynolds est un adepte d’un jeu fait de passes courtes et de mouvement perpétuel. Une idée préconçue du jeu loin d’être évidente à l’époque, où le kick-and-rush trouve encore bon nombre de partisans.

À défaut de convaincre pleinement la Fédération néerlandaise, qui le renvoie après seulement quelques rencontres à la tête de la sélection nationale, son style de jeu conduit ses troupes vers un chemin glorieux. Le jeu positionnel de l’Ajax s’en retrouve profondément transformé en proposant un mouvement quasi incessant entre les lignes, caractéristique essentielle du totaalvoetbal de Rinus Michels quelques décennies plus tard. Indispensables à l’équilibre de la formation, les hommes qui composent l’entrejeu ajacide jouent un rôle prépondérant. Sur leurs côtés, les ailiers (ou inters) se voient confier de nouvelles responsabilités. Jack Reynolds, lui-même ancien inter, leur confère la majeure partie de l’animation offensive de l’Ajax. 

Enfin, l’essence même du jeu prôné par Jack Reynolds réside dans le contrôle de l’espace. Dans le livre phénomène « La Pyramide Inversée », écrit par le célèbre journaliste anglais Jonathan Wilson, ce dernier résume la philosophie de Jack Reynolds – et plus particulièrement du football total – à cette formule :

« Rendez le terrain aussi vaste que possible quand vous avez le ballon et vous pourrez facilement le conserver ; rapetissez-le quand vous ne l’avez pas, et il devient nettement plus difficile de le garder pour votre adversaire. » 

Une philosophie aberrante pour beaucoup, un coup de génie pour certains. Jack Reynolds donnera raison à ses partisans au fil des années et des décennies, quand l’Ajax empilera les succès grâce à sa vision moderniste du football. 

L’héritage indélébile d’un homme oublié

De nos jours, son nom résonne encore quelquefois dans les rues d’Amsterdam. Tantôt sur les rives des canaux si célèbres de la ville, tantôt dans les coffee shops de la capitale néerlandaise. Jack Reynolds a laissé une trace de son glorieux passé à la postérité. 
En 1947, lorsque Jack Reynolds quitte l’Ajax après un huitième titre de champion des Pays-Bas et vingt-cinq années de bons et loyaux services, “le Hollandais à l’accent de Manchester” reste au pays des tulipes. Si sa terre natale est bien outre-Manche, sa terre de cœur se situe sous ses pieds, à Amsterdam. Alors qu’il profite d’une retraite bien méritée, Jack Reynolds demeure un fervent supporter des Watergraafsmeer et reste en contact avec le club qu’il a bâti de ses propres mains. Un air de Sir Alex Ferguson et Manchester United dirait-on… 

Ces huit titres remportés constituent par ailleurs un record absolu. Ses illustres successeurs que sont Rinus Michels – qu’il eut sous ses ordres quelque temps -, Johan Cruyff et Louis van Gaal n’en ont décroché que sept à eux trois. Symbole d’une suprématie extraordinaire et d’une merveilleuse longévité sous l’ère Reynolds. 

À défaut d’avoir égalé Reynolds, Johan Cruyff, lui, pouvait se vanter d’une grande carrière de joueur !

Depuis maintenant près d’un siècle, Jack Reynolds inspire de nombreux tacticiens. Rares sont ceux qui sont parvenus à reprendre ses préceptes et en faire une philosophie à succès. De Vic Buckingham à Pep Guardiola, en passant par Rinus Michels, Valeriy Lobanovskyi, Johan Cruyff et bien d’autres, ils sont nombreux à s’être relativement inspirés des idées avant-gardistes de Jack Reynolds. 

Aujourd’hui, si le paysage footballistique est tel, ne serait-ce pas en partie grâce à Jack Reynolds ? Aurions-nous connu Rinus Michels, Johan Cruyff et le grand Ajax si lui, le coach britannique qui s’exporta brillamment aux Pays-Bas, était resté au Royaume-Uni en mourant avec ses idées ? L’impact de Jack Reynolds sur l’histoire du football se résume à une série de causes à effets, lui qui fut et demeure une source d’inspiration considérable. Il inspira Vic Buckingham et Rinus Michels, qui eux-mêmes inspirèrent Johan Cruyff. Tous ces mentors donnèrent naissance à des tacticiens phénoménaux tels que Louis van Gaal, Marcelo Bielsa, Pep Guardiola et consorts, chacun féru des idées de leurs prédécesseurs.

De la fondation d’un système formateur moderne aux préceptes d’un style de jeu révolutionnaire, cet homme aura à jamais marqué de son empreinte l’histoire du football. Et si ce britannique de naissance s’est éteint le 8 novembre 1962 à Amsterdam, dans la ville de sa vie, d’autres cerveaux du ballon rond continueront d’écrire cette histoire en s’inspirant du méconnu génie de Jack Reynolds.

Outre le portrait érigé de Jack Reynolds, une ode pour son influence tant sur le jeu qu’en dehors des terrains était nécessaire. Un homme primordial pour le développement du ballon rond que le temps a su malencontreusement faire oublier, au plus grand regret des amoureux de ce sport…

Enzo Pailot

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