Belém, quartier iconique de Lisbonne d’où sont partis bon nombre de grands explorateurs à travers l’histoire du Portugal. Le club local, le CF Os Belenenses, a lui-aussi levé les voiles vers des terres brumeuses. Scindé en deux entités distinctes, rétrogradé en sixième division, le club aurait pu se perdre en mer et sombrer à jamais. Mais la folle envie d’un équipage de passionnés a maintenu l’identité du club à flot, et Belenenses est en train de revenir à bon port après des années de galère.

Le CF Os Belenenses n’a jamais fait beaucoup de bruit au-delà des frontières lusitaniennes. Certains petits malins sauront citer que José Mourinho y a fait ses classes en tant que joueur, de même que l’ancien Marseillais Rolando. Mais pour la plupart des fans du ballon rond, il ne s’agit que d’un club portugais parmi d’autres, à l’ombre des trois géants que sont le Benfica, Porto et le Sporting.
Et pourtant, le club de Belém n’est pas quelconque au Portugal, loin de là. « Belenenses fait partie des cinq clubs à avoir gagné le championnat », souligne Alex Ribeiro, créateur du média foot portugais Trivela.fr. « C’était lors de la saison 1945-46. Même si ça remonte à il y a très longtemps, ce titre en fait une institution historique. Un club comme Braga n’a par exemple jamais dû se contenter que de Coupes nationales. »
Le loup dans la bergerie
En 2013, le gouvernement portugais légifère pour professionnaliser le sport au sein du pays, en proie à des irrégularités financières sévères. Les clubs de football professionnels, historiquement propriétés des socios, doivent désormais obligatoirement posséder un statut juridique de société sportive. Cela implique la création d’une structure complémentaire à l’institution sportive, qui publierait des rapports financiers publics et protégerait juridiquement le club. C’est la porte ouverte à l’arrivée d’investisseurs extérieurs, pouvant en effet racheter les parts de ces sociétés sportives.
Un an plus tôt, Belenenses avait déjà pris les devants en cédant 51 % des parts de sa société anonyme sportive – nommée SAD en portugais, pour Sociedade Anónima Deportiva – au fonds d’investissement Codecity. La structure sociétale de Belenenses existait dans les faits depuis 1999, mais elle était jusqu’ici entièrement détenue et contrôlée par le club sportif. En guise de garde-fou, un pacte parasocial accordait encore certain pouvoirs au club, désormais actionnaire minoritaire de la société, tels qu’un droit de veto et un droit de rachat des actions.
L’équipe de Belém, alors en deuxième division depuis deux ans, se restructure sous l’impulsion de Codecity, et les résultats arrivent vite. Le club remonte dans l’élite en 2013 et parvient à s’y stabiliser, allant même jusqu’à disputer les phases de poule de la Ligue Europa 2015-16.
Procédure de divorce

Ce début d’histoire semble idyllique. Mais en interne, il y a de l’eau dans le gaz entre le club fondateur et les investisseurs. Des différends voient le jour en ce qui concerne la gestion sportive et financière, et la tension monte entre Patrick Morais de Carvalho, président de l’OS Belenenses et représentant des supporters, et Rui Pedro Soares, à la tête de CodeCity et de la SAD du club.
Ces litiges vont mener les deux parties à des actions en justice. En 2017, le Tribunal arbitrale du sport permet à CodeCity de rompre l’accord parasocial qui liait les deux structures, alléguant une violation contractuelle de la part du club fondateur. Les droits spéciaux ayant été accordés au club sont dès lors supprimés : le fonds d’investissement a désormais la mainmise totale sur la structure sociétale.
Dans ce contexte délétère, le divorce est inévitable, avec dans son sillage un partage des biens brutal. À la fin de la saison 2017-18, les liens qui unissaient Codecity au CF Os Belenenses cessent de manière unilatérale, le contrant liant les deux parties n’ayant pas été renouvelé. Codecity, actionnaire majoritaire de la SAD de Belenenses, hérite de l’équipe première en Primeira Liga. Le club fondateur conserve la propriété de son stade, mais doit recommencer à zéro sportivement. Une nouvelle SAD est fondée, ainsi qu’une nouvelle équipe devant repartir de sixième division portugaise.
Il existe alors deux clubs bien distincts, avec le Belenenses SAD de CodeCity en D1, et l’OS Belenense des socios en D6. Dans les années qui suivent, le club fondateur va obtenir l’exclusivité de son nom, de son logo, de ses couleurs et de son palmarès. Tout ce patrimoine date en effet d’avant 1999, année de la création de la SAD d’origine ; CodeCity ne peut donc pas se les approprier avec son nouveau club.

Polygamie éphémère et remontada
Les fans historiques du club doivent faire un choix à l’aube de la saison 2018-19 : supporter le nouveau club en D1, ou l’institution historique en D6. Pendant quelques semaines, certains tergiversent et affichent leur soutien aux deux équipes. Mais pas pour bien longtemps. « Les fans ont un peu hésité, mais ils ont très vite tourné le dos à l’équipe de Codecity, explique Alex Ribeiro. Le cœur a parlé : même si ça joue à un petit niveau, ils vont soutenir l’équipe historique jusqu’à sa remontée ! »
S’ensuit depuis une folle aventure depuis les pelouses torturées des divisions amateurs. Quelques milliers de supporters continuent d’animer les tribunes de l’Estádio do Restelo, et l’OS Belenenses génère une sympathie immédiate dans le pays. L’équipe remonte année après année les échelons, enchaînant cinq montées consécutives* pour atteindre la deuxième division au terme de la saison 2022-23.
« Nous sommes un club champion, parmi les plus grands du Portugal.
Chant des supporters de Belenenses
Qu’importe la division, notre amour est le même !
Nous avons décidé de renaître, mais nous serons de retour.
Le chemin sera long, pour retrouver notre place ! »
Mathieu tient le compte fan Belenenses France sur X. Il revient sur le travail exceptionnel qui a été réalisé au cours des six dernières saisons : « Le club a été bien structuré, grâce au président Patrick Morais de Carvalho et grâce aux socios, qui se sont investis à 100%. On espère aujourd’hui le maintien en deuxième division ».
Saison après saison, les Azuis ont dû renouveler leur effectif pour se mettre au niveau de chaque échelon. À deux exceptions près. « André Serra, notre défenseur central, a lui connu toutes les montées avec Belenenses, précise Mathieu. C’est incroyable pour lui, il aime le club et tout le monde le lui rend bien. » C’est aussi le cas d’Alex Figueiredo, lui-aussi défenseur, qui avait notamment comparé le projet du club à « une carrière de Football Manager dans la vraie vie », où il a fallu « reprendre un club de zéro » et « remonter de division en division ».
* Le club est reparti de sixième division (troisième division régionale de Lisbonne) en 2018, mais une ligue intermédiaire a été créée en 2021 entre la troisième division nationale et la première division régionale. C’est pourquoi le club évolue aujourd’hui en D2 malgré ses cinq promotions consécutives.

Retour de bâton
Et le club de Codecity dans tout ça ? Eh bien, le Belenenses SAD (contraint de se renommer B-SAD en 2022) n’a connu qu’une longue et douloureuse chute depuis sa création. Évoluant au Stade national, enceinte absolument pas adaptée à une équipe de première division, le club n’a jamais pu compter que sur quelques dizaines de supporters pour les encourager. « Il n’y avait vraiment personne au stade, ricane Alex Ribeiro. Codecity, c’est des types qui ne viennent pas du football, qui ne connaissent rien au football, et qui sont venus remplacer un club historique en première division. Une immense majorité des gens se sont mis à détester la B-SAD et à se prendre d’amitié pour Belenenses. »
En difficulté financière, reléguée en deuxième division en 2022 puis en troisième division l’an dernier, la B-SAD a été contrainte de fusionner avec le club de CD Cova da Piedade, aujourd’hui au quatrième échelon du football portugais. L’histoire du « nouveau Belenenses » n’aura donc duré que cinq saisons. Le « vrai Belenenses », fort de ses 104 ans d’histoire, espère lui retrouver la Primeira Liga dans les prochaines années. Cela ne sera certainement pas pour tout de suite, au regard de l’actuelle avant-dernière place des Azuis au classement de la deuxième division. Mais qu’importe le temps que cela prendra, les supporters en ont la conviction : à la fin, c’est toujours le football qui gagne.